Sheen ouvrit un œil lorsque Armo lui apporta son plateau-repas.
« Ah ! Pardon, ma petite Sheen, vous dormiez ? »
« Ce n’est pas grave, Armo… Je ne fais que ça… Dormir, lire, manger… »
Armo offrit un sourire apaisant à Sheen puis posa le plateau sur le bureau de Jilezor, lequel était vide de tout odrinatiteur depuis un certain temps. Non que Jile eusse râlé après elle, ce n’était pas son genre. Loin de là. Il avait laissé d’ailleurs à son intention un truc pareil ou presque, plus petit, moins compliqué, avec moins de fil voire même sans, elle ne savait plus trop – il avait parlé de "huit fils" mais Sheen n’avait rien écouté, comme d’habitude –, qui lui permettait de tapoter ou jouer un peu.
C’était sa mère qui avait ramené tout ça du monde où on trouvait facilement ces petits cachets blancs qui soulageait les maux de tête, dont Riwalena souffrait presque en permanence. Jilezor, mine de rien, s’était jeté dessus avec une avidité égale à son enthousiasme lorsqu’il avait ouvert pour la première fois la porte de la bibliothèque.
L’inconvénient était qu’elle ne pouvait quasi plus utiliser le sort de vol mineur lui permettant – en théorie – d’aller jusqu’à la chaise du bureau.
Armo l’aidait à se positionner le dos droit, de façon à pouvoir manger correctement son dîner.
« Jile est rentré ? » demanda Sheen en entamant sa salade de tomates-mozzarella-olives noires avec des herbes. C’était vraiment bien, ce pouvoir de se déplacer à travers les mondes… Sheen sourit.
Même si son aventure sur Azeroth s’était en grande partie mal déroulée – elle aurait toujours du mal à admettre ne pouvoir recourir à ses dons magiques et de maître des ombres – c’était là qu’elle avait croisé le regard doré de Jilezor. La Renarde et l’Aigle…
Armo, assis sur une chaise qu’il avait ramenée, lui parlait et Sheen réalisa qu’elle n’écoutait pas, une fois de plus. C’était très impoli. Surtout qu’Armo lui faisait la conversation le temps qu’elle engloutisse son repas rabelaisien – c’est que les portions avaient triplé, lui semblait-il, et elle sentait qu’un monstre se rassasiait quelque part dans son ventre. Un Léviathan, cet enfant.
Voilà, elle avait fini son repas machinalement, écoutant et hochant la tête de temps en temps vers Armo. Elle se disait que la maison pouvait bien s’écrouler, il resterait une baleine rousse, dans un lit. Noé n’avait qu’à bien se tenir. Elle soupira.
Armo reprit le plateau vidé – il n’en restait pas une miette, et voulu aider Sheen à se recoucher, mais elle refusa :
« Non, Armo, j’ai besoin de faire quelque chose… »
Elle lorgna sur le bidule de Jile.
« Armo, pourriez-vous m’apporter le bidule, là, sur le bureau ? »
« Le bidule ? »
« Oui, l’espèce de boîte noire. »
« Oh ! L’appareil de votre époux ? »
« Oui. Enfin, non, celui-là est à moi. Il me l’a donné. »
Armo apporta la petite boîte à Sheen.
« Merci Armo. »
Et elle déposa un petit bisou sur la vieille joue du majordome. Il sourit : « Si vous avez besoin de moi, ou de Mathi, n’hésitez pas, ma petite Sheen. »
« Non, non, Armo, merci. »
Sheen lui fit un grand sourire tandis qu’Armo sortait en refermant la porte.
Elle n’allait certainement pas les déranger pour un rien. Ils en faisaient assez comme ça.
Elle ouvrit la boîte.
Après une bonne demi-heure passée à essayer tous les boutons et cliquer partout, Sheen réussit à aller sur le forum de la guilde de Chrys.
Elle lut avec avidité les diverses nouvelles d’Azeroth. Tout le monde allait bien, a priori. Il y avait bien des « petits nouveaux » qu’elle connaissait peu, et qui laissaient tout aussi peu de message.
Elle se tortilla sur son lit, pour peu qu’une baleine puisse le faire.
Elle cliqua sur « Erosus », le dernier arrivé. Rien. Pas de portrait, pas de description, pas de message.
Sheen fronça son petit nez.
Elle lut les diverses blagues de Aergthor. Enfin, elle essaya. Elle aussi avait du mal avec « l’argot draenei », comme disait Riwa.
Elle lut aussi les diverses blagues de Riwa, ainsi que les conseils de l’elfe avisée ou l’étalage, il n’y avait pas d’autre mot, de sa grande culture. Évidemment, la belle druide avait eu le temps de lire, étudier, etc.
Toujours pas de message sur la date du mariage. Cela devenait inquiétant. Sheen sentit que quelque chose n’allait pas. De toute façon, dès le départ, elle avait eu des doutes sur le « Tigrou ». L’ego de Riwalena ne pouvait pas supporter un tel manque d’attention, même si le voleur ne manquait pas d’affection…
Il y eût une sorte de « Boum! » et la baleine eut un soubresaut.
Sheen attrapa sa boule magique, y passa la main et regarda dans le laboratoire : sa mère devait sans doute faire des expérimentations. Non, rien.
Sheen la trouva dans le salon - véranda : elle agitait sous le nez de Mathi des dizaines d’étoffes et les dieux savaient quoi d’autre, assises sur le petit canapé d’osier. Il y avait tellement de linges qu’on ne voyait plus les coussins.
Les deux femmes sirotaient ce que Sheen supposa de la tisane dans le petit service à thé. Son père et Armo étaient relégués de l’autre côté de la petite table, sur les fauteuils. L’un lisait le journal, l’autre somnolait en hochant la tête vers Mathi pour lui faire croire qu’il l’écoutait. Sheen sourit, savourant ce tableau familial pourtant ordinaire.
Elle reposa la boule et leva le nez sur l’horloge : bientôt onze heures, et pas de signe de Jilezor…
Sheen farfouilla sur le forum. « Rechercher tous les messages de Jilezor. » Elle cliqua.
Des trucs pas intéressants sur des machins qu’elle ne comprenait pas et dont elle se fichait totalement. Oups ! surtout ne pas lui dire.
Enfin, elle tomba sur un message intriguant, intitulé « Ad Patres ».
Elle cliqua. Un arrogant « Accès non autorisé » s’afficha pour la narguer.
Sheen fronça son petit nez. « Quoi ? Comment ça ? »
Elle recommença.
Même chose.
Elle avait dû faire un truc.
Elle prit encore une fois sa boule de cristal et se concentra sur Riwalena. Les grandes oreilles d’Azeroth sauraient sans aucun doute ce qu’il se passait.
De nouveau, la baleine eut un soubresaut. C’était peut-être un événement à Lunargent ? On ne la tenait jamais informée de rien !
C’était totalement faux. Sheen n’écoutait rien ; elle avait la tête ailleurs, tout absorbée par le monstre qui se lovait paresseusement dans son ventre.
Elle dévorait des bouquins à voix haute ; un peu de tout, ne sachant pas trop si le monstre serait plutôt du genre de "papy" ou de "mamie", ou bien encore d’elle ou son époux. Et puis, cela dépendait aussi du monde dans lequel on se trouvait. Toutes ces réflexions tourbillonnaient dans sa tête, tandis que sa mère espérait – elle le disait dans toutes les pièces de la maison et à tous les visiteurs – que le « merveilleux poussin » ou la « somptueuse libellule » – on voyait bien que ce n’était pas elle qui portait le monstre – n’ait pas les cheveux roux comme son époux et sa fille.
L’image de Riwalena la surprit : elle était comme alanguie sur l’herbe, Poupy couché près d’elle, portant des lunettes roses ridicules, et recroquevillée sur elle-même. Elle reconnut les marches du Puits du Temple de la Lune, à Darnassus, aux pieds de la Déesse Elfe.
Et encore un soubresaut. C’est que ça devenait agaçant !
Elle attrapa la commande de sa mère, une minuscule boîte – encore une boîte ! elle qui se trouvait enfermée dans une chambre… – et activa son hologramme Azerothien. Elle le téléporta à Darnassus. À travers les yeux de son avatar, Sheen regarda avec compassion son amie Elfe. Riwalena n’allait pas bien, elle ne réagissait même pas à la présence de son hologramme.
Encore un soubresaut ! Mais c’est pas vrai !! Sheen fronça son petit nez et faillit lâcher un juron. Faillit. Elle s’était retenue pour ne pas choquer le monstre.
Sheen fit s’asseoir son hologramme et tenta de localiser Jilezor sur Azeroth. Rien. Le brouillard. Le brouillard ?
Sheen fronça son petit nez. Sa narine droite la grattait.
Et encore un soubresaut ! C’est que ça faisait tout bizarre, aussi, en y réfléchissant un peu.
Mais Sheen revint à ses inquiétudes : trouver Jile et savoir ce qu’il arrivait à Riwa.
Enfin, sur ce dernier point, Sheen en devina facilement la cause. Par le biais de sa projection, elle demanda à ses amis Chrys et Keisha s’ils avaient croisé Jilezor. Non.
Elle vérifia : pas de courrier.
Elle revint près de Riwalena. Discuta un peu de son cas avec Keisha, heureusement que la femme de Chrys était là, elle ! L’époux délirait avec des histoires de chevalier blanc…
« Boum ! »
« Ouille ! »
Keisha lui demanda si elle avait un problème.
Sheen estima que non. C’était peut-être la boîte de Jilezor. On ne savait jamais, avec ces trucs-là, magiques – gnomiques – ou nainformatiques… Elle n’aurait pas dû l’ouvrir, sans doute, et avait mal fait quelque chose. Peut-être que Jilezor avait mis une protection, semblable à une mimic et ladite mimic protestait. C’était inédit sur Azeroth mais sur Faerûn, c’était un être magique assez répandu, qui se logeait souvent dans des coffres, ce qui n’avait pu qu’intéresser son mari. L’imagination d’un mage aura fait le reste.
Heureusement qu’ils n’étaient pas gnomes.
Sheen envisagea quelques secondes la vie de l’épouse d’un gnome mage : l’enfer !
« Boum ! »
« Ouille ! »
« Vous êtes sûre que tout va bien, Sheen ? » s’enquit Keisha.
« Ou… oui… » bredouilla Sheen via son hologramme.
« Ça n’a pas l’air… » insista la bienveillante Chasseresse.
« Si si… un problème d’hologramme… je… je dois vous laisser. »
Elle avait dit qu’elle enverrait sa mère chercher Riwa.
Enfin, il lui sembla.
Il lui sembla aussi que Keisha avait compris.
Il lui sembla aussi qu’elle pensa, avant de tirer sur le pompon au-dessus du lit : « La baleine va s’échouer… »
Sujet: Re: In nomine patris et filis... 
Sam 4 Aoû - 14:21
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