Le retour de la Pépette.

Certains d'entre vous ont l’honneur de me connaître. Pour les autres, apprenez que je suis un des seuls mages que compte cette guilde.
Ce qui fait de moi, bien évidemment, un de ses plus sages contributeurs ; c'est aussi simple que ça.
Je suis aussi (plus par erreur que par goût, notez bien) le filleul de Jurghen le chasseur.

Maintenant que vous avez tout cela bien à l'esprit (en postulant que vous en possédiez un minimum, cela va sans dire), je vais pouvoir aborder la raison de cette chronique : vous relater les derniers évènements qui ont frappé la guilde des Loups ces temps-ci.
Suis-je le mieux placé pour le faire ? Rien n'est moins sûr :
1. Je ne fais pas partie des "pontes" de la guilde (mon intelligence les effraie...).
2. Je n’ai pas le titre de chroniqueur officiel. Il fut un temps où un scribouillard nommé La Plume agaçait le monde avec ses feuilles de chou. Mais, comme beaucoup, ce dernier a fini par s’envoler – ce qui, avec un tel nom, n’a rien d’étonnant.
3. Je ne suis pas le plus apprécié (mon parrain a eu des mots avec le Conseil).
4. Enfin, je reviens d’une longue absence pour des raisons personnelles et générées en partie par une personne qui s’est sauvée de la guilde (La première d’une longue liste… Anecdote : Certains disent que c’était le point de départ d’une Fuite des Cerveaux. Je réponds ceci : Derumus est parti, et je suis toujours là. Ne généralisons donc pas.)

Toute cette brillante prose pour en arriver à ceci : je ne suis assurément pas le mieux placé pour jouer les hérauts de la guilde !

Certes.
Mais considérez ceci, à présent : Aucun autre Loup ne peut se prévaloir de quelque talent rhétorique que ce soit, mis à part votre serviteur. Il me semble donc, et vous en conviendrez, que je suis le meilleur orateur désigné de la guilde, et sans doute le plus objectif.

Vous m'avez suivi jusque là ? Alors j'ai quelque espoir que vous me suiviez jusqu'au bout (que voulez-vous, en plus d'être un des esprits les plus brillants de ma génération, je suis aussi un indécrottable optimiste).

Fort bien.

Où en étais-je ? Ah oui, la disparition de Seluna. Bien triste histoire s'il en est. Seluna, vous le savez sans doute, a toujours été fort peu prolixe en ce qui concerne ses géniteurs, et tout spécialement son père. En fait, il semble qu'elle ignorait complètement jusqu'à son nom. Et que par ailleurs, cela convenait à tout le monde.
Mais il faut toujours un oiseau de malheur pour détruire nos belles insouciances, n'est-ce pas ? Bien sûr, chez les Loups, ce rôle revient à Kyrelia. Et comme toujours, cette dernière s'acquitte au mieux de sa tâche : c'est elle qui révéla à Seluna l'identité de son père, la faisant sombrer dans la folie.

Que le lecteur me permette ici d'insérer une note personnelle. Il peut paraître bizarre que la simple mention du nom de son père puisse faire sombrer quelqu'un dans la folie, j'en conviens. Toutefois, certains noms sont plus lourds que d'autres à porter. À quel nom fais-je allusion ? Justement, dans l'intérêt de cette histoire, il me semble plus propice de le taire pour l'instant. Qui plus est, à ce moment là, les Loups eux non plus n'en savaient rien. Je vous invite donc à vous mettre à leur place. Si vous en êtes capable, bien sûr.

Bon. La folie de Seluna. Comment cela s'est-il exprimé ? Elle coupa tous les ponts avec ses amis et quitta sans même un mot la guilde des Loups. Cette attitude inquiéta au plus haut point ceux qui l'aimaient, au nombre desquels mon parrain, mais aussi le curé Perramion, son fiancé officiel. S'il est vrai que Seluna a un joli sourire (pas de quoi se vanter non plus), je me demande toujours ce qui peut provoquer un tel émoi chez Jurghen à propos de Seluna. Je connais un aphorisme qui, traduit en notre langue, donne à peu près ceci : "Il y a une faille en chacun de nous. C'est par là que la lumière entre." Sans doute que Jurghen a connu trop de failles… car notre chère Séluna n’est pas vraiment une lumière.
Mais passez-moi cette digression, et revenons plutôt à nos moutons. Ou à nos démons, devrais-je dire...
Le Conseil des Loups, présidé par le distingué Lorac et la non moins distinguée Elekiel (la Lumière les protège, eux et leur descendance, sur les 7 prochaines générations, du moins s’ils trouvent un jour l’envie réelle de se marier et de conclure), au vu de la situation et connaissant l'attachement que chacun portait à Seluna, décida, dans son infinie sagesse, qu'il était absolument urgent de ne rien faire, et au plus vite, s'il vous plait !
Cette décision (ou absence de décision, je vous laisse juge) ne manqua pas de consterner les quelques Loups à qui il restait un peu bon sens. Porte-parole de ces derniers, Jurghen demanda, interrogea, tempêta, tapa même du poing sur la table, pour qu'on lui explique la raison d'une telle inertie. Sans succès. Mon parrain est quelqu'un de charmant, mais il manque parfois de finesse. Son départ séance tenante de la guilde en est sans doute un autre exemple. (Pour ma part, j'ai trouvé plus intéressant de rester au sein d’une guilde qui ménage tant mon goût pour le vaudeville...)

Une certaine mélancolie, peut-être de la morosité, un inhabituel mal de vivre gagnaient le coeur des Loups. Le moral était donc au plus bas quand le Conseil fit une mystérieuse déclaration : il était interdit (pour les non-initiés à la vie de la guilde, il faut savoir que les dirigeants sont friands d’interdits et de faux suspenses) de faire des recherches plus avant sur Seluna – ou son père – sans qu'un puissant et antique rituel de protection ne soit lancé.
Les Loups ne furent pas longs à en réunir les composants. Pour ma part, j'ai toujours dit qu'en ce qui concerne les commissions, les Loups, c'est des bons .
Fort de cette protection magique, le conseil nous lâcha quelques bribes d'information, et c'est ainsi que nous apprîmes le nom du père de Seluna : (****protection magique**** on se sait jamais) Kel'Thuzad (**** fin de la protection magique****).

Des restes de vieilles croyances païennes, doublés d'une paranoïa sans fond, avaient fait croire au conseil que la protection d'un antique rituel était nécessaire rien que pour prononcer son nom. Permettez-moi de me mettre en colère quelques instants ! La magie est une science ; il ne s'agit pas de recettes de grand-mère, et les bredouillements d'un autre temps n'ont rien à y voir ! Enfin !… Disons qu'ils croyaient bien faire et qu'un excès (même dénué de fondement) de prudence ne peut point être blâmé. Voilà, les instants de colère sont passés, reprenons le cours de notre récit.

Rassurées sur la qualité de notre protection spirituelle, les troupes d'élite de la guilde des Loups partirent à la recherche de Seluna (Il y a avait Misaki, Methil, Amigos et quelques autres, y compris moi-même (le dernier mais pas le moindre !)).

Vous le savez, je ne suis pas homme à m'appesantir sur les détails, je passerais donc sous silence le long, lent, sinueux et tortueux cheminement qui nous mena, cahin-caha, de la sécurité de HurleVent jusqu'aux dangers des Terres Désolées. Toujours est-il que c'est là-bas que nous avons retrouvé Seluna. Ou en tout cas son corps. Enfin, quand je dis son corps, je ne veux pas dire sa dépouille, j'entends par là que le corps était bien là, mais l'esprit lui semblait au mieux absent, ou encore que l'ancien locataire n'avait pas attendu la fin du bail pour rendre les clés. Et il est apparu très vite que le nouvel habitant n'avait pas la moindre sympathie pour nous. C'est un euphémisme, bien sûr. D'ailleurs Seluna (ou qui que ce soit réellement) a alors pris congé de nous d'une façon très grossière (et pourtant je ne suis pas à cheval sur les règles de politesse, n’en déplaise à mon épouse, je peux vous le garantir).

C'est à croire que les instances dirigeantes des Loups ont un goût immodéré pour les antiques rituels car c'est ainsi que nous sommes partis à la recherche d'un… antique rituel de désenvoûtement, dont il parait que la Princesse de Maraudon garde toujours un exemplaire par-devers elle. Encore une fois, je vous passerais les détails, mais pour faire simple, disons que rien dans ma vie de mage aventurier ne m'avait préparé à la rencontre avec une Princesse dans ce genre là. Celle-ci se révéla d'ailleurs de fort méchante humeur et peu disposée à nous prêter son fameux exemplaire. Je préfère ne pas évoquer ces images terribles de Kyrelia en train de fouiller le corps graisseux (et bien dans le sens de dépouille, cette fois) de la sus-dite Princesse. Enfin, l'antique rituel était en notre possession !

Aussi étonnant que cela paraisse, le Conseil des Loups chargea Kyrelia d'étudier les détails du rituel. Ce genre de choses ne lasse pas de m'étonner : d'une part c'est Kyrelia qui est à l'origine de cette lamentable affaire, et d’autre part, rien ne laisse présumer qu’elle dispose des compétences suffisantes en matière de magie. Que voulez-vous.. N'y a-t-il pas un adage qui dit : "C'est toujours aux personnes les moins aptes que l'on attribue les tâches les plus importantes" ?

Vous me trouvez trop dur avec Kyrelia ? C'est sans doute que vous ne la connaissez pas. Essayez de saisir, si vous le pouvez, le concept de grandeur, vous aurez là une idée de tout ce que n'est pas Kyrelia. La seule grande chose en elle, c'est son ego. La première chose que l'on voit en la rencontrant c'est qu'elle n'a pas été gâtée par dame Nature. Même en cherchant à être positif, on peut au mieux dire qu'elle est banale. Et encore… Un gars un peu moins nigaud que les autres fera tout pour éviter cette femme qui fantasme sur sa succube. Ce qui est malheureux (notez bien : pour nous, non pour elle), c’est que le fond ne rattrape même pas la forme. Il faut être un imbécile profond ou un chantre de compassion pour lui accorder plus que 30 secondes d'attention. Et il n'y a guère que Methil qui y parvienne... (Note de Sheen : je sais plus si Jilezor l'a laissée, celle-là ?)
En tout cas, toute pénétrée de ses nouvelles responsabilités de "Ritualiste Antique" de la guilde des Loups, la dite Kyrelia nous a balancé une liste de composants longue comme le bras, dont la moitié était totalement inutile, et le reste parfaitement dispensable. Sans l'aide d'un mystérieux donateur, il aurait été impossible de réunir tout cela aussi vite. L'expédition pour désenvoûter Seluna pouvait être lancée.

Je n'imaginais pas alors à quel point cette tâche allait s'avérer éprouvante. Pas tant à cause de l'adversité (pourtant soutenue) que nous aurions à affronter, que du comportement de Kyrelia. Je ne pense pas qu'on puisse dire de moi que je suis imbu : je suis quelqu'un de mesuré et conciliant. Il en allait tout autrement de Kyrelia ce soir là... On eût dit un dindon tellement elle gloussait à propos de "son" rituel : à quel point il était compliqué, le talent que cela avait demandé, et ainsi de suite… ad nauseum...
Gentilhomme dans l'âme, je préférais me taire, mais voilà qu'elle repartait de plus belle, qu'il ne fallait pas "gâcher son rituel" (son regard mauvais planait alors sur moi). Pendant que nous traversions les Maleterres, je me disais que je plaignais tout spécialement ses familiers, y compris le pauvre Methil. Mais mes répits étaient de courte durée devant les assauts réguliers de : "sentez-vous la corruption ?", "nous y sommes presque", "je vais pouvoir lancer MON rituel", pour finir par des "et surtout n'intervenez pas" (et là, son doigt boudiné se dardait en direction de ma personne). Devant les créatures mort-vivantes qu'il nous fallût combattre, j'allais jusqu'à penser que leur état d'inconscience n'était pas sans avantages...

Enfin, Seluna fut en vue.

Et le "rituel" commença. De notre côté, nous empêchions les monstres d'approcher pendant que Kyrelia et Seluna se livraient un assommant duel ponctué d’insultes en langue démoniaque (ce qui, soit dit en passant, semble à la portée de n'importe quel guerrier ayant trop bu). Puis, Kyrelia finit tant bien que mal par prendre le dessus sur Seluna et lui planta un poignard enchanté en plein cœur, sans autre forme de procès.
À ce point de l'histoire, il me faut bien admettre que le rituel de Kyrelia ne tenait pas que du fantasme. En effet, il devint évident que l'énergie vitale de Kyrelia semblait la quitter pour s'engouffrer dans le corps sans vie de Seluna par l'entremise du poignard. On eût dit que Seluna était une coquille vide et sèche qui se trouvait d'un coup inondé d'une eau bienfaitrice. Kyrelia sauvait bel et bien Seluna. Je crois que j'en suis resté interloqué quelques secondes. Quelques fatales secondes.
Kyrelia avait commis une erreur de débutante, elle avait laissé le processus aller bien trop loin... Il était alors trop tard pour en empêcher l'inexorable issue. Ainsi Kyrelia mourut.

Bon débarras me direz-vous ? Je ne vous jetterais pas la pierre, j'ai pensé la même chose moi aussi. Mais mon sens aiguë de la justice étant le plus fort, je demandais à ce qu'on use d'un défibrillateur (en l'absence de tout soigneur) pour la ramener à la vie, en vain...
Seluna, elle, semblait comme s'éveiller d'un trop long sommeil. Elle était perdue, et choquée. Plus que tout, elle était atterrée devant le corps sans vie (oui, la dépouille !) de Kyrelia.

Alors que nous tentions de lui expliquer toute l'histoire (somme toute assez compliquée, vous êtes maintenant à même d'en juger), nous sentîmes la présence ténue d'un fantôme qui ne nous était pas inconnu. Ainsi donc, Kyrelia n'avait pas été entièrement détruite mais elle était incapable de réintégrer son corps. À trop vouloir jouer avec les démons, seules les portes de leur dimension s'ouvrent à vous.

Avec le recul, je veux croire que c'est la pitié, la compassion et enfin l'amour d'un voleur (Nous nous abstiendrons d’émettre tout avis à ce propos. Beati pauperes spiritu.) qui a réussi à crocheter ces fameuses portes, et à lui permettre de rentrer parmi nous. J'espère juste qu'elle en est consciente, et que ça lui mettra un peu de plomb dans la tête...

Enfin, l'essentiel n'est-il pas que nous ayons ramené Seluna saine et sauve ? Moi-même, j'y suis allé de ma petite larme, c'est dire. Mon propre parrain, Jurghen, est venu au chevet de Seluna dès qu'il a eu connaissance du retour de celle-ci. J'ai essayé depuis de lui tirer les vers du nez à propos de leur entretien, mais il s'est contenté d'un : "pourtant j'y ai cru" un peu dépité. Comprenne qui pourra. J'ai l'impression qu'il s'est rabiboché avec le Conseil. J'aurais voulu être une souris pour entendre ça.

Toutefois, malgré l'allégresse générale, l'avenir semble bien sombre. Le père de Seluna pourrait bien voir d'un mauvais oeil notre sauvetage. Et l'on dit que ses colères sont proprement destructrices... Rien n'est joué pour les Loups.