Jurghen - Traque

Comme souvent à son réveil, Jurghen était un peu désorienté. "Où ai-je bien pu m'endormir cette fois ?"

Le soleil commençait tout juste à se lever… à l'Est, et il donnait tout son éclat à la neige qui recouvrait une bonne partie du paysage. Au loin, au Nord-Ouest, on entendait les hurlements d'une meute de Loups.

Jurghen se redressa un peu. "Hmmm, Dun Morogh..." Il avait tant arpenté cette région que l'odeur apportée par le vent lui aurait suffit pour s'orienter. Jurghen fit un rapide tour d'horizon, pour s'assurer que personne n'était en vue. De toute façon, seul un chasseur aurait eu une chance de le repérer, caché qu'il était sur une branche haute, dissimulé par la flore locale.

Toutefois, cela lui aurait déplu que quelqu'un se rende compte que le Grand Jurghen piquait des pois (?). Il en connaissait la raison, évidemment : la bière. Cette bonne bière naine parfois si douce, parfois si amère. "Comme la vie...", se dit-il. Toujours est-il qu'il en buvait plus que de raison. Si le premier tonneau aiguillonait invariablement son intellect, les suivants le plongeaient dans un monde flou et grisâtre où plus rien n'avait d'importance. Plus rien, et surtout plus personne... Et tout spécialement Seluna.

Jurghen força son esprit à changer de sujet. Il se souvenait être monté au faîte de cet arbre pour une raison bien précise : être tranquille. Être tranquille, et en profiter pour aiguiser sa hache. C'était une bonne idée. Quelque chose qui lui éviterait de penser à... Enfin, quelque chose qui lui éviterait de penser tout court. Jurghen se remit à l'ouvrage, passant avec une infinie lenteur (presque comme une caresse) la pierre à aiguiser sur le fil de sa lame. "Je suis la pierre. Mon esprit et mon coeur deviennent lourds et durs comme cette pierre. Mais ce n'est pas une pensée triste : je suis celui qui aiguise l'esprit des autres."

Il se demanda où se trouvait son plus fidèle ami, Melki, cet adorable Léopard des Neiges qu'il avait recueilli tout petit. Il espérait qu'il avait eu la sagesse d'éviter la route des gros prédateurs. Un instant, il se demanda si ce n'était pas après lui que la meute de Loups était lancée. Non, peu probable. Plus sûrement, Melki était parti s'ébattre dans la neige, ou bien chasser le lièvre blanc, ou bien encore était-il à la recherche d'une compagne. Cette idée le fit sourire. Jusqu'à ce que l'image de Seluna s'impose (de nouveau ?) à lui. "Maudit sois-tu, stupide nain chasseur... Oublie-la..." Puis, comme pour laisser ses réflexions/rêveries/etc. derrière lui, Jurghen sauta sans crier gare. Tout valait mieux que de songer à elle. Il se mit à courir dans la neige, sentant l'animal qui vibrait en lui... Il le laissa sortir en hurlant une longue plainte inarticulée. Au Nord, à dix lieues de là à peine, d'autres hurlements lui répondirent, presque comme une invitation. Jurghen s'élança dans cette direction, avant que son esprit ne puisse protester. Il savait que le spectacle d'une meute à l'œuvre lui ferait tout oublier. Jurghen croisait des loups depuis bien assez longtemps pour leur vouer une grande admiration. Beaucoup, dans les campagnes, craignaient encore ce splendide animal : on voyait parfois/etc. des bergers faire bruire leurs rhombes, croyant les faire fuir.

Jurghen s'engagea dans le lit d'une rivière glacée avec l'adresse née d'une longue habitude. D'ici, il entendait mieux les "bruits" de la meute. "Au moins une trentaine de têtes, plus sûrement quarante... Peu de Louveteaux, par contre... C'est vrai que l'hiver a été rude." Le chasseur donnait tout ce qu'il avait pour rattraper le groupe de puissants prédateurs. Et d'où il était, la source de leur puissance ne laissait guère de doute : la communication. Les loups sont des chasseurs solitaires, en général ("Comme moi, en fait"), mais quand ils chassent en meute, c'est qu'il s'agit de gros gibiers (et de se dire/etc. : "Comme nous, avec la guilde...", et cette pensée lui fit perdre quelques mètres). La communication, mais aussi l'organisation. Un couple d'Alpha pour guider le reste de la meute ("Lorac et Elekiel ?", se demanda-t-il essoufflé). Jurghen grignotait du terrain, petit à petit. La meute pourvoit à la protection de ses membres et à l'éducation de ses jeunes ("Tout comme nous, encore une fois..."). Les poumons de Jurghen lui semblaient en feu.

Contrairement aux idées reçues, la figure principale de la meute est souvent la louve Alpha. Il faut dire que c'est elle qui assure la pérennité de l'espèce, maintient la cohésion du groupe, et qui, enfin, laisse son mâle croire qu'il la protège. Jurghen émergea d'une crête, hors d'haleine. Il se jeta à plat ventre dans la neige, épaulant sa carabine dans le même mouvement. L'œil rivé à sa lunette, il se mit à guetter l'orée des bois, à moins de 500 pieds. "Elekiel... La louve Alpha... Elekiel est une druide... Y aurait-il du sang de louve en elle ?" Il commençait à percevoir des mouvements furtifs derrières les arbres, et puis, comme un fantôme, un jeune loup gris apparut. Il n'avait pas vraiment une noble allure, bien au contraire. Son pelage grisâtre n'arrivait pas à cacher les blessures et les coups de crocs. "Le loup Omega, sûrement... Le taciturne, mais aussi celui qui fait office de bouffon paradoxalement... Suis-je celui-ci ?"

Comme s'il avait pu percevoir sa présence (ou bien ses pensées), le loup s'arrêta, scrutant dans sa direction... Au travers de la lunette, leurs regards se croisèrent ...

Jurghen baissa son arme, perplexe. "L'Esprit du Loup... L'Esprit du Loup ? Qu'est-ce que cela veut vraiment dire ?" Pas de doute, la meute l'avait bel et bien distancé cette fois, mais Jurghen n'y prêta pas attention. Il se releva et pris le chemin d'IronForge. Il voulait savoir comment était né l'Esprit du Loup, ce qu'il y avait derrière, mais aussi quel était le gros gibier qu'eux chassaient... Autant de questions qu'il faudrait poser à Lorac. À moins que... Et il se demanda, une fois de plus, qui était vraiment le Grand Maître de la guilde de l’Esprit du Loup...